Chose peu fréquente voire rare dans le métier, c’est d’intervenir sur des tableaux réalisés par son père. La méthodologique demeure identique, sauf que l’enjeu est ailleurs.
Un conservateur restaurateur s’appuie sur ses connaissances, sur son expérience et aussi sur sa sensibilité artistique. Il doit objectiver sa démarche en pesant les critères, en pondérant les valeurs et en argumentant ses choix, afin d’assumer les conséquences de ses actes restauratifs.
J’ai dans un premier temps passé deux mois avec ma mère à réaliser l’inventaire complet des œuvres : dessins, esquisses, calques, tableaux, cartons, sculptures, etc.
J’ai ensuite hiérarchisé les priorités d’intervention afin d’optimiser mon temps.
Je vous présente le cas présent : un tableau intitulé Jardin Pamplemousse à Maurice, qui est un élément du triptyque de la Terre Bleue. Elle fut peinte en 1964 et mesure 130 cm de hauteur sur 81 de largeur. En 2013, j’ai réalisé un constat d’état détaillé de la technologie de l’œuvre ainsi que des altérations que l’œuvre a subies.
Le diagnostic est le suivant : les déménagements successifs de cette œuvre mal emballée ont causé des griffures, des accrocs et des pertes de couche picturale sur d’importantes longueurs.
De plus les fibres de la toile sont réactives aux variations d’humidité, ce qui a créé des craquelures d’âge ouvertes et quelques soulèvements (voir relevé des altérations).

Les interventions de conservation ont correspondu à un refixage localisé des soulèvements : nous avons choisi une colle d’esturgeon à 3 %, réactivé à la chaleur.
Les interventions de restauration ont consisté en un masticage des lacunes (mélange carbonate de calcium et colle de peau de lapin à 7%) puis une texturation du relief en lumière rasante, imitant celui des zones environnants (voir photo).

Après vernissage de la surface (dammar à 15%), nous avons réalisé la réintégration coloré aux couleurs Gamblin® Conservation, appliquées en deux passages (voir photo).

Dans mon cas, l’affectif prend une place plus importante : l’enjeu repose sur le souvenir, l’Amour portée à la personne. On veut être à la hauteur de cet enjeu. Mais ces sentiments sont contre balancés par une rationalité méthodologique et déontologique. Re- découvrir le travail, la production artistique de son père par les yeux du professionnel ne doit pas empêcher d’apprécier avec le regard du fils. C’est alors que nombreuses questions émergent dans mon esprit à propos de l’inspiration, des procédés créatifs, de l’histoire matérielle d’une œuvre.